[Tribune – Le contenu de cet article n’engage que son auteur]
Rappel à la règlementation ou acharnement administratif ?
Fin d’une exception ou « nouveau coup dur » pour les apiculteurs ?
Le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation a rappelé récemment à la filière apicole les conditions dans lesquelles doivent s’effectuer les traitements contre Varroa destructor, le « ravageur des ruches », et en particulier l’interdiction des traitements reposant sur des produits ne disposant pas d’une AMM (Autorisation de Mise sur le Marché). Ce rappel au règlement suscite la grogne de plusieurs organisations professionnelles apicoles (Syndicats et une ADA) et trouve ces derniers jours un écho médiatique sous une présentation qui peut se discuter, sinon biaisée, pour le moins assez incomplète : c’est particulièrement le cas de l’article « Les apiculteurs privés d’un traitement bio et pas cher » publié le 5 janvier sur le site Reporterre, chronique relayée dans l’émission « la Terre au carré » de France Inter avec le lancement « un nouveau coup dur pour les abeilles et les apiculteurs » et « les abeilles privées de médicament ? »
Que peut-on en penser ?
A vous de vous faire une opinion mais voici quelques éléments factuels et réflexions personnelles destinés à proposer un éclairage croisé ou complémentaire.
Tout commence par une réunion au Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation le 20 octobre dernier, réunion à laquelle étaient invités des représentants de la filière apicole et l’agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) pour rappeler les conditions de l’utilisation de médicaments vétérinaires ne bénéficiant pas d’Autorisation de Mise sur le Marché. Il s’agissait d’une part de rappeler leur interdiction en pratique courante et d’autre part les conditions dans lesquelles des expérimentations peuvent être menées pour qualifier ces produits, c’est-à-dire faire la preuve de leur efficacité, de leur innocuité (pour les abeilles et le manipulateur) et de leur absence d’impact sur les produits de la ruche. On parle ici de se conformer à la règlementation Française (le Code de Santé Publique) complétée par le règlement européen (2019/6) relatif aux médicaments vétérinaires. Chacun étant dans son rôle, le Ministère a également rappelé les sanctions encourues.
Un usage hors AMM très répandu chez les apiculteurs
La problème est que l’apiculture a, depuis quelques années et pour des raisons historiques, bénéficié d’une dérogation à ces règles. En ligne de mire du Ministère, l’acide oxalique qui est une substance active très largement utilisée hors AMM par les apiculteurs, en bio comme en conventionnel. L’acide oxalique peut en effet s’acheter en droguerie, en pharmacie ou dans les magasins d’apiculture, ne coûte pas cher, l’apiculteur fera son dosage de façon plus ou moins académique et pourra l’appliquer sur ses abeilles selon différents modes (dégouttement, sublimation ou autoproduction de bandelettes à diffusion lente) et différents protocoles.
Le Ministère a donc rappelé qu’en France il est interdit de traiter les animaux d’élevage avec des médicaments vétérinaires ou des formes médicamenteuses ne disposant pas d’AMM, que l’abeille est un animal d’élevage et a rappelé les risques encourus. Le bien-fondé de cette règlementation est probablement facile à partager (sécurité de l’animal, de l’éleveur, du consommateur), toute la question est donc d’apprécier les conséquences de la fin d’un régime d’exception.
Contrairement à ce qui est dit dans certains médias, il existe des alternatives légales au traitement à l’acide oxalique auto produit puisque trois médicaments (l’un étant actuellement indisponible) contenant ce principe actif disposent d’une AMM. Au total, ce sont six molécules représentées dans 12 préparations vétérinaires destinées à lutter contre le varroa en bio ou en conventionnel qui sont disponibles.
Leur utilisation renchérit nettement le coût du traitement à la ruche puisque l’on passe alors d’un coût de moins d’un euro par ruche et par an avec une solution auto produite à un coût allant de 2,5 à 4,5 euros avec un médicament autorisé, en fonction des produits et du protocole.
On remarquera que cela fait pourtant quelques années que le sujet était sur la table, que pour faciliter le retour des apiculteurs aux pratiques légales, les deux principaux principes actifs anti varroa, l’Amitraz et l’acide oxalique, bénéficient d’une exonération de la règlementation des substances vénéneuses (un arrêté ministériel de mai 2018), ce qui en pratique permet aux apiculteurs de se procurer les médicaments vétérinaires correspondants auprès des circuits de distributions agréés mais sans avoir besoin de l’ordonnance d’un vétérinaire.
Des changements dans les modes d’expérimentation de nouveaux médicaments ou protocoles
La lutte contre le varroa étant objectivement un enjeu majeur pour l’apiculture, des protocoles alternatifs à base d’acide oxalique sont régulièrement testés, de façon scientifique et rigoureuse au demeurant, mais sur des ruchers de production, c’est-à-dire des ruchers appartenant à des apiculteurs ou à des ADA. Le Ministère a rappelé que les expérimentations (c’est-à-dire l’utilisation de substances sous une forme ne disposant pas d’une AMM) ne peuvent être effectuées que sur des ruchers expérimentaux, c’est-à-dire des colonies d’abeilles dont les produits de la ruche ne partiront pas dans des circuits de consommation humaine. On en comprend la logique mais ici encore le rappel à la Loi va devoir modifier les conditions dans lesquelles ces essais, qui sont indispensables, seront conduits. Une question de redéfinition de moyens, de procédures – et non pas comme on peut le lire « nous ne pourrons plus vous diffuser une information innovante et alternative sur les traitements contre le varroa », ou encore « ils nous obligent à jeter le miel ».
Dans cette disposition figure également la restriction qui est faite (aux organismes pilotant les études expérimentales, i.e. ITSAP Institut de l’abeille et ADAs) sur la communication relative à ces protocoles s’il existe un risque qu’ils soient interprétés comme des incitations à l’adopter. Un changement ou un aménagement dans les pratiques actuelles, certes, mais est-ce insurmontable ? Est-ce gênant de ne communiquer auprès des utilisateurs sur un protocole qu’une fois qu’il a fait ses preuves ? La rigueur, la qualité, les espoirs portés par une expérimentation peuvent se mesurer d’une autre façon.
Inutile de s’appesantir sur la supposée pression des vétérinaires ou de l’industrie pharmaceutique (qui a d’autres développements plus lucratifs en projets) pour mettre la main sur le marché des traitements apicoles.
Reste objectivement posé le prix de ces traitements vétérinaires et leur forme qui n’est pas adaptée à des exploitations de plusieurs centaines de ruches. On sait que l’obtention d’une AMM est complexe, longue et donc coûteuse et il y aurait probablement des choses à améliorer sur le sujet.
Pour finir, et je m’en voudrais d’ouvrir une polémique inutile, mais prévoir 4 Euros par an pour un médicament vétérinaire sûr permettant de traiter une ruche de production dont on peut espérer entre 250 et 400 Euros en miel (Hypothèse : 40 kg vendus en vrac entre 6 et 9 Euros le kilo) est-ce un ratio insupportable ? Et si, par une amélioration de la qualité et de la traçabilité de mes procédés de production de miel, qui au passage me permettrait de me démarquer, je vendais mon miel 0,10 € plus cher au kilo, est-ce que je ne couvrirais pas le coût de ces traitements ?
En conclusion je regrette que des médias entretiennent l’idée qu’il s’agit d’un « nouvel acharnement administratif » alors que l’on devrait parler de la santé des abeilles et de celle du consommateur. L’apiculture n’est pas dans le collimateur des Réglementeurs, alors qu’elle gagnerait probablement à l’être un peu plus ; je pense aux traitements agrochimiques, au marché du miel, etc.
Seulement voilà, comment revenir sans douleur sur un état d’exception, assimilé à un « avantage acquis » sans mécontenter ? Pas facile assurément, mais ne nous trompons pas de combat.
François Rabasse – Vétérinaire
francois[at]apisvitae.fr
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