génétique de l'abeille et résistance aux maladies

VSH, HYG, SMR, des acronymes qui vous parlent certainement. Utiliser les caractères génétiques de résistance aux pathogènes chez l’abeille est un enjeu essentiel pour l’apiculture. Réduire les mortalités, l’usage de traitements, augmenter la résistance au stress des colonies, autant d’objectifs court ou moyen terme qui mobilisent chercheurs, apiculteurs et vétérinaires.

Comme il n’est pas forcément simple de s’y retrouver, une petite synthèse de ce que l’on sait aujourd’hui sur ces trois caractères de résistance comme de ce qu’il est possible de faire en pratique d’élevage est utile. Un billet un peu long, désolé, mais le sujet le mérite.

Le caractère hygiénique (HYG) se manifeste par une activité des nourrices qui, d’une part détectent le couvain mort (grâce à l’olfaction), désoperculent les cellules concernées, expulsent la nymphe morte en la cannibalisant ou en la sortant de la ruche, et pratiquent le nettoyage de la cellule. Le comportement hygiénique est la résultante de ces trois comportements, il peut être réparti entre les lignées de demies sœurs, il s’exprime essentiellement chez les jeunes abeilles.

C’est donc un caractère intéressant pour limiter les maladies du couvain, en particulier loque américaine (affection due à la bactérie Penibacillum larvae), loque européenne (bactérie Mellissococcus plutonius) et ascosphérose (maladie du « couvain plâtré » due au champignon Ascosphaera apis). Ce comportement de l’abeille d’intérieur s’exprimant vis-à-vis de larves ou nymphes mortes dans leur cellule n’aura que peu d’incidence sur l’infestation à varroa. En effet le varroa ne tue pas son hôte (la nymphe), se contente de l’affaiblir.

Le caractère hygiénique serait porté par un nombre très limité de gènes (deux pour la désoperculation et un pour le nettoyage). En revanche d’autres gènes, concernant notamment l’olfaction, sont sur exprimés. Le caractère est héritable, c’est-à-dire se prête bien à une démarche de sélection.

Le protocole de caractérisation du caractère hygiénique est connu et relativement simple à mettre en œuvre : on détruit une portion repérée de couvain fermé, puis on compte le nombre de cellules « nettoyées » par les ouvrières 24h ou 48h plus tard. On obtient de cette façon un « score » de nettoyage qui est un pourcentage.

Pour la mise en pratique on a le choix entre 3 protocoles : le « test du couvain congelé » que l’on obtient soit par refroidissement de la zone de couvain à l’azote liquide (attention, la manipulation de l’azote liquide ne doit pas se faire n’importe comment), soit par découpe d’un losange de couvain passé quelques heures au congélateur puis remis en place. Une alternative est le « pin test » ou l’on sacrifie au moins une centaine de pupes à l’aide d’une aiguille la plus fine possible, type aiguille à insuline ultra fine, afin de ne pas déchirer l’opercule (ce qui fausse le résultat). On peut pour gagner du temps « bricoler » un dispositif multi aiguille du type « herse » ou « matrice ». Pour le repérage et comptage on peut s’aider d’un gabarit ou d’un logiciel (Mesurim).

Le test doit être répété 2 ou 3 fois au cours de la saison sur une colonie donnée, hors miellée et en adoptant le même protocole : gardez en tête que les paramètres d’environnement (taille de la colonie, entrée de nectar) auront une influence sur la rapidité de nettoyage. On prendra la moyenne des résultats qui représente la valeur objective du caractère hygiénique de la reine fécondée. C’est un critère intéressant à prendre en compte dans « l’équation » de ses choix de sélection. On estime qu’une colonie présente une bonne caractéristique hygiénique à partir d’une valeur de 95% de cellules nettoyées à 48h. Aujourd’hui, c’est un paramètre incontournable à intégrer en élevage, sur les souches mères et en particulier sur les souches à mâles quand on pratique la fécondation dirigée.

Le caractère VSH (Varroa Sensitive Hygiene) fait l’objet de beaucoup d’intérêt dans les programmes de recherche. Il s’exprime par la capacité de la souche à identifier et désoperculer une cellule de couvain infestée par varroa et d’autre part à éliminer la nymphe parasitée. Pour simplifier, on peut assimiler le comportement VSH à une performance hygiénique spécialisée sur le couvain infesté par varroa.

La détection de femelles varroa dans la cellule operculée par les ouvrières s’observe à partir de 4 jours suivant l’operculation, met en jeu différents mécanismes d’olfaction. On a pu montrer que la cellule infestée produit d’avantage d’esters phéromonaux et au moins 6 composés volatils caractéristiques de la présence de femelle(s) varroa fondatrices.

On retrouve le comportement VSH à l’état naturel, en particulier sur des lignées ayant évolué dans l’extrême orient Russe (souche Primorsky) au voisinage de la zone de répartition de l’abeille asiatique (Apis ceranae) dont on sait qu’elle a co-évolué avec le varroa. Les abeilles de cette souche Primorsky (très étudiée depuis une décennie en Louisiane) mais aussi des abeilles d’Afrique du sud, survivent naturellement à varroa ainsi qu’à différents autres stress, leur étude et la compréhension de ces mécanismes est donc très intéressante.

Le caractère VSH s’appuie sur un grand nombre de gènes (258 recensés dans six régions génomiques, dont une trentaine sont des gènes d’olfaction surexprimés).

Le caractère VSH est héritable, ne semble pas nuire aux performances zootechniques, mais la multiplicité des gènes impliqués suggère des plans de sélection sophistiqués. Il faut avoir à l’esprit que le caractère VSH ne s’exprime pas un comportement à deux états (présence ou absence). On parle de caractère quantitatif et de gènes additifs, entre différents gènes mais aussi entre les deux emplacements (« locus ») d’un même gène. Il n’y a pas de relations simples du type gène dominant Vs gène récessif comme en génétique mendelienne.

La question s’est posée de savoir la place du génotype « historique » de l’abeille dans cette résistance et les analyses génétiques montrent 80 à 90% de génétique d’Apis mellifera mellifera dans le génome des souches VSH.

Le protocole permettant de caractériser les qualités VSH d’une souche est lourd et complexe. Il n’est pas à la portée de l’apiculteur(trice) même pointu(e).

Dès lors quel levier a-t-on en exploitation à part acheter des reines de souche évaluée ?

Plusieurs pistes sont à l’étude, notamment à l’INRAE (Yves Leconte) mais ne seront probablement pas opérationnelles dans un futur immédiat :

  • La mise au point d’un kit de détection olfactive des esters phéromonaux émis par la cellule infestée,
  • Par identification des marqueurs génétiques spécifiques.

Le trait SMR (Suppressied Mite Reproduction) se caractérise par une augmentation de la proportion de varroas infertiles dans la ruche. Il est la résultante d’une diminution de la population de varroas en capacité de se reproduire, soit via un mécanisme d’inhibition sous le contrôle de la larve elle-même, soit par un comportement de désoperculation puis réoperculation de la cellule par l’ouvrière qui interrompt le cycle reproductif de varroa, soit par élimination pure et simple de la nymphe parasitée comme dans VSH.  Comme dans le comportement VSH les ouvrières identifient le début de ponte de la fondatrice varroa quelques jours après l’operculation. A la différence de VSH, les cellules infestées par une femelle varroa infertile (5 à 20% à l’état naturel) sont ignorées en SMR.

On trouve encore peu de données sur le nombre et la localisation des gènes impliqués dans l’expression SMR (au moins deux gènes seraient impliqués) mais il existe un consensus sur sa bonne héritabilité.

La mesure SMR s’appuie sur un comptage de cellules infestées, celles qui renferment une femelle varroa reproductrice et celles avec un ou plusieurs varroas infertiles. L’identification du caractère infertile demande un peu de technicité ; son principe est de comparer les stades de développement du ou des varroas avec celui de la nymphe. On note au passage si la cellule a été ouverte ou pas. Le score SMR s’établit sur le calcul de trois paramètres, taux de réoperculation, d’infestation et taux SMR. Le taux SMR est le taux de cellules infestées par une femelle non reproductrice sur le taux de cellules infestées. Même si l’évaluation phénotypique du caractère SMR est plus simple à réaliser que celle du VSH, elle reste  un protocole de laboratoire qui n’est pas à la portée de l’apiculteur(trice). Pour obtenir une mesure il faut faire parvenir au labo un cadre de couvain operculé largement pondu (au minimum 700 cellules operculées).

On ne devrait pas confondre SMR et VSH même si les deux sont associés. Pour faire simple, on peut garder en tête que le comportement VSH se traduit par une diminution de la population de varroas de la ruche par élimination des nymphes infestées, tandis que le trait SMR ne diminue que partiellement la population de varroas de la ruche mais augmente le taux d’infertilité du parasite. Le cumul des deux traits est donc intéressant, mais attention on ne peut pas faire d’extrapolation entre les deux scores.

Il y a donc un grand intérêt à s’intéresser et comprendre ces différents mécanismes, suivre les avancées de la recherche, introduire dans les plans de sélection (les siens ou ceux de vos vendeurs de reines) les critères de mesure lorsque c’est possible (et pertinent) car ce sont les voies prometteuses en matière sanitaire.

Bien sûr, un critère génétique de résistance n’est qu’un critère parmi d’autres à intégrer dans « l’équation de sélection ». On redira encore que la prophylaxie sanitaire ou des mesures de lutte contre un pathogène met en jeu un ensemble de mesures, notamment zootechniques. A l’évidence la qualité VSH de lignées souches est à rechercher pour réduire la pression varroa dans vos colonies, mais cela ne dispense pas des mesures techniques complémentaires (comptages, retrait de couvain de males, encagement en fin de saison…). On sait qu’il faudra « vivre avec » le varroa, qu’imaginer s’en débarrasser est illusoire, même grâce à sélection qu’elle soit naturelle ou dirigée.

On voit que la sélection génétique reste une des pistes les plus prometteuses pour maitriser les effets du varroa ; reste posée la question du « coût » de cette sélection : apparition de caractères indésirables, affaiblissement de critères de production classiquement recherchés, etc. Un prochain billet fera le point sur l’état des connaissances sur le sujet.

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