Une annonce largement relayée dans la presse
Le 4 janvier 2023, le laboratoire Data Animal Health (Dalan) annonçait que l’autorité Nord-Américaine (USDA) lui accordait une licence temporaire d’exploitation de 2 ans renouvelables pour un vaccin contre l’agent de la loque Américaine. L’annonce précise que le vaccin obtenu à partir de bactéries Paenibacillus larvae inactivées est administré via un aliment sucré consommé par les abeilles ouvrières nourrissant la reine. Le vaccin est incorporé dans la gelée royale qui est utilisée pour nourrir la reine. L’intérêt du vaccin est alors de conférer une immunité non seulement à la reine, mais à sa descendance.
On rappelle que la loque Américaine à Paenibacillus larvae est une maladie du couvain, la contamination des très jeunes larves (entre 24 et 72 heures après l’éclosion) se faisant via le nourrissement par les ouvrières, que c’est une maladie très répandue dont le pronostic est mauvais et qui entraine un protocole de désinfection très contraignant.
S’agissant d’un procédé classique d’inactivation de l’agent pathogène, le vaccin serait utilisable en apiculture biologique.
Une vraie avancée dans les connaissances sur l’immunité chez l’abeille
Si les résultats des études sont confirmés à l’issue des essais de terrain, ce sera effectivement une avancée majeure en apiculture et pour la recherche.
En effet on savait déjà – sans toutefois en connaitre le mécanisme intime – que les abeilles sont susceptibles de développer une immunité dite « primaire » à la suite de l’exposition à un agent pathogène, mais on n’avait pas à ma connaissance d’observation en matière de transmission « verticale » (de la reine à sa descendance) de l’immunité. On parle de transmission d’immunité trans générationnelle (Trans-Generational Immune Priming – TGIP).
Au-delà de l’annonce, il est intéressant de regarder plus concrètement ce qu’ont été les travaux qui ont permis cette avancée. On peut en connaitre le détail dans une publication de Dickel et all. parue le 17 octobre 2022 dans la revue Frontiers in Veterinay Science (https://www.frontiersin.org/journals/veterinary-science).
Les essais
Les essais ont été réalisés par deux équipes, l’une autrichienne, l’autre espagnole sur des souches Apis mellifera carnica en Autriche et Apis mellifera iberiensis en Espagne.
Sur le premier site, 32 colonies ont été inclues dans l’essai avec un lot témoin de 16 colonies (« colonies placebo »). Sur le deuxième site, 15 colonies faisaient partie de l’essai pour un lot témoin de 15 colonies placebo. Les reines étaient issues de souches différentes. Les ruches contenant trop peu de larves (moins de 30) n’ont pas été retenues pour l’essai (manque de vigueur de la reine).
La nourriture était constituée d’une solution de Paenibacillus larvae inactivée, de 48 ml de sirop issu d’amidon de maïs et de 500 g de sucre en poudre.
Les reines ont été extraites des colonies avec des accompagnatrices et nourries en laboratoire pendant 8 jours avant d’être mélangées avec des reines placebo, toutes sont réintroduites « à l’aveugle » (i.e. par une personne n’ayant pas connaissance de l’identité des reines « vaccinées ») dans les colonies.
18 jours après réintroduction, des cadres contenant des larves de 0 à 36 heures ont été extraits de chaque ruche test et pour moitié « contaminés » en laboratoire, l’autre moitié « témoin » alimentée avec de la bouillie larvaire saine. Les cadres issus de ruches témoin ont également été contaminées par le même protocole. L’observation et le contrôle des larves qui a suivi était quotidien durant 8 jours.
Les résultats ont été traités par les méthodes statistiques conformes à l’état de l’art.
Sur le premier site, deux séries de mesures (à 8 et 19 jours) et comparaisons ont montré un taux de survie des larves issues de reines vaccinées supérieur de 30% à celui des colonies placebo. Les observations ont porté sur 16 colonies vaccinées à 8 jours et 13 colonies vaccinées à 19 jours.
Sur le deuxième site, le nombre de colonies était significativement réduit : seulement deux colonies « vaccinées » et 3 placebo. Le taux de survie des larves des colonies vaccinées est sorti supérieur de 50% à celui des colonies placebo.
Le taux de pertes de reines au cours du protocole trouve son explication par la fréquence des manipulations.
Des spores de P. larvae ont été isolées y compris dans les colonies asymptomatiques mais à une moindre concentration.
Discussion
Bien sûr, on remarquera que l’échantillon de l’essai était relativement réduit. L’objectif de la licence temporaire d’exploitation est bien de pouvoir réaliser des tests en vraie grandeur, l’équivalent des essais cliniques dits de phase III en médecine. On en saura donc plus dans le courant de l’année.
Mais ces premiers résultats sont encourageants à la fois sur nos connaissances de la transmission verticale de l’immunité et sur l’efficacité d’un vaccin « oral » destiné à la reine via une nourriture donnée aux ouvrières.
Pour mémoire, des essais préalables de transmission par voie orale avaient été tentés avec une autre bactérie pathogène, l’agent de la Loque Européenne Mellisococcus plutonius, mais n’ont pas débouché sur des résultats probants.
Toutefois l’annonce pose quelques questions.
On observe sans savoir encore l’expliquer l’immunité chez l’abeille : on n’a pas isolé d’anticorps ni de cellules en charge de l’immunité (les lymphocytes notamment) chez l’abeille. Donc mystère sur le mécanisme et le support de cette immunité.
Et comment cette immunité se transmet-elle de la reine à l’œuf ? Les auteurs de l’étude semblent dire que des informations à pouvoir antigénique (fragments de la bactérie) peuvent être transférées à la filiation par intervention d’une protéine présente dans l’œuf et qui joue un rôle essentiel, la vitellogénine.
Le transfert d’éléments à pouvoir antigénique pourrait ne pas être le seul mécanisme. Les transferts d’autres signaux, tels que l’ARN messager, des macro-protéines ainsi que des facteurs épigénétiques, a également été proposé et est actuellement à l’étude.
Un sujet prometteur, à suivre donc.
On en reparlera ici.
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